Ghislaine Joseph : Symbole De Ténacité Et De Courage
« Je viens de loin », ce sont ces mots qui résument la vie de Ghislaine, comme la plupart de nos concitoyens haïtiens. « Aujourd’hui, je ne regrette rien », résultat de sacrifices énormes. Un long parcours pour l’originaire de Marbial, section communale de Jacmel, qui a vu Ghislaine grandir, faire ses études et, après de nombreuses péripéties, obtenir son bac le mois d’Août 2007. C’est la fille d’une mère commerçante et d’un père agriculteur, cadette d’une fratrie de trois. Son enfance n’a été ni joyeuse ni triste. « Je me suis épanouie dans les relations que j’ai eues avec mes premières copines que j’ai rencontrées à l’école. J’ai pris plaisir à jouer à la marelle, à sauter aux cordes. Comme tout enfant de la campagne, je me souviens encore de l’odeur de la forêt, le paysage, le soleil d’été, le petit vent chaud et froid, et surtout les mangues qui se retrouvent par terre après la pluie suivant la saison (rire). Je viens de loin ». dit-elle.
Parcours – difficultés
Ghislaine admet que le début de sa carrière a été difficile. Elle a d’abord consenti d’énormes sacrifices pour être admise en 2008 à l’IERAH-ISERSS au département de philosophie et des Sciences Politiques après avoir échoué lors du concours d’admission à la Faculté des Sciences Humaines. Signe de persévérance, un des points forts de sa personnalité. En Septembre 2009, elle allait débuter un nouveau cursus en Anthropo-sociologie à la Faculté d’Ethnologie (FE) et obtenir sa licence en 2014 en dépit de nombreuses difficultés rencontrées dont son expulsion de l’IERAH. « J’étais dévastée, car j’avais tout donné pour avoir une licence en Sciences politiques. C’était le seul moment où toutes les questions se bousculaient dans ma tête. Qu’est-ce que j’allais devenir ? J’ai choisi, malgré tous les obstacles, de poursuivre mon rêve jusqu’au bout en m’inscrivant dans un master en anthropologie sociale à la FE en 2014, soit un mois après la soutenance de mon mémoire de licence. C’est certainement à ce moment que la persévérance prend tout son sens. J’ai su garder la motivation malgré de nombreuses critiques destructives ».
Réussir est un combat au quotidien. Elle a effectivement mis son devoir au propre. Ghislaine compte aujourd’hui deux diplômes de Master : l’un en Ethnologie (obtenu à l’Université Paris Descartes en 2016), l’autre en Sciences de l’Education (obtenu aussi à l’Université Paris Descartes en 2017). De plus, elle est doctorante au laboratoire Philépol de l’Université Paris Descartes et a récemment eu le privilège d’être élue membre du conseil d’administration de SEE (Sociétés, Educations, Environnements), une association en France œuvrant dans le domaine de l’éducation et de l’environnement. Sa thèse se portera sur les jeunes des quartiers populaires urbains en Haïti. Elle mettra en lumière la nature complexe des rapports sociaux qui se manifestent dans les quartiers populaires urbains en Haïti, fera une focalisation sur la manière dont les jeunes issus de quartiers défavorisés gèrent les discriminations pesant sur eux afin de construire leur propre parcours en tant que sujets sociaux et politiques. « Un projet assez original », avoue-t-elle.
Son parcours laisse entrevoir un rapport intime avec la lecture, un rapport d’amour et de passion, une relation médecin-patiente. En lisant, souvent elle éprouve à la fois un sentiment de vide et de tristesse. Un livre pour elle peut être plus efficace que l’Hydroxyzine (un antidépresseur). Mais il y’a des auteurs qui l’ont émue bien plus que d’autres, comme : Frédéric Marcelin à travers Epanomindas Labasterre, François Dubet pour ses études consacrées à la marginalité juvénile, Françoise Héritier qui est une pionnière en matière d’interrogation sur la parenté et le biologisme. En plus, la Faculté d’Ethnologie a été pour elle une véritable école, celle de la vie, on y apprend tout ! « Elle a éveillé en moi la passion pour l’humanité ».
Femmes, féminisme et engagements
J’ai toujours été sensible aux causes des femmes. Je me rappelle avoir mené des campagnes de sensibilisation à l’école auprès de mes camarades sur la répartition des tâches domestiques. Mais ce n’est qu’en 2010, j’ai rencontré Guerda Pierre Guillaume, camarade de ma promotion à la Faculté d’Ethnologie, avec qui j’ai co-fondé MAEF (Mouvement d’Appui pour l’Epanouissement de la Femme). Promouvoir l’éducation des filles, dénoncer les violences faites aux femmes et venir en aide à celles qui en sont victimes sont les principaux objectifs que partage ce groupe de femmes. Cela fait-il de vous un féministe ? « Je ne me suis jamais vraiment posé la question de cette manière. C’est plus facile de se dire féministe que de remettre en question les fondements des inégalités entre les sexes et de mener un plaidoyer autour des droits des femmes incluant toutes les questions liées à l’éducation, la participation politique et la division sexuée du travail ».
En 2012 dans la version dite amendée, les femmes s’engagent, notamment avec un quota exigé. Ghislaine n’y est cependant pas favorable. Le quota ne saurait résoudre le problème que de manière superficielle. « C’est en effet un constat bien réel qu’il existe un déséquilibre entre les femmes et les hommes, notamment au niveau des postes de direction, de hautes fonctions ou des rangs hiérarchiques. De même, on ne peut pas résoudre le problème de la sous-représentativité des femmes dans les instances décisionnelles avec une autre forme de discrimination mettant ainsi de côté d’autres volets de la réalité tels que : les barrières culturelles, les charges familiales, le manque d’éducation des femmes et des hommes bien sûr, ainsi que la dépendance économique ».
Conseils et perspectives d’avenir
Enfin, s’il y’a trois mots qui peuvent caractériser Ghislaine, c’est sa façon d’être originale, de se sentir elle-même, sa générosité et sa persévérance. « Je n’abandonne jamais, quoiqu’il arrive dans ma vie, je ne lâche jamais l’affaire. Il m’est déjà arrivé, en effet, d’arrêter quelque chose et d’essayer d’autre, mais je n’ai jamais abandonné », lâche celle qui porte pas mal d’ambitions. Rejoindre sous peu une équipe d’enseignants-chercheurs des universités publiques ou privées en vue de mettre les connaissances acquises à l’extérieur au service de la communauté haïtienne, créer aussi une fondation en hommage à sa mère pour venir en aide aux femmes de fer en Haïti, particulièrement celles qui font des allers-retours entre la campagne et la capitale, longtemps appelées « madan sara », font partie de ses priorités.
« Ne jamais dire jamais » tel est le credo de Ghislaine qui croit fermement que ce sont les décisions que vous prenez aujourd’hui qui détermineront votre réussite et votre bonheur. Elle encourage les filles, leur dit de foncer car rien n’est figé, elles peuvent faire bouger les choses. Il suffit d’ouvrir les yeux et de cesser de douter de ses capacités. « Prenez également du plaisir à faire des choses que vous aimez. Ce n’est pas parce que toutes les filles autour de vous adorent le maquillage que vous devriez l’aimer. Il va peut-être falloir que vous vous accordiez un jour, voire des jours sans maquillage pour trouver en vous la personne qui vous convient le mieux. Libre à vous de choisir vos goûts, mais soyez donc vous-mêmes », conclue-t-elle !
Voilà des mots qui motivent !