Samara Gilles : L’histoire D’un Parcours Difficile Et Glorieux
Ce fut un 24 décembre, à Port-au-Prince en l’an de grace 1980 que Samara Claudia Gilles, propriétaire de Kaysam’Art, a ouvert les yeux sur un monde trop grand, et peut-être trop cruel avec un nombre infini de défis à relever. Dans son roman magique, La belle amour humaine, L. Trouillot écrit : « Pour vivre avec la perte, on prend souvent la fuite, vers rien, n’importe quoi. Il arrive aussi qu’on parte à la recherche de ce qu’on a perdu ». Orpheline depuis 3 ans, Samara, ayant grandi avec sa grand-mère, part à la conquête de quelque chose, sa voie, son histoire qu’elle va devoir se battre pour tracer, créer, réaliser l’impossible. Il n’y a pas d’entreprise plus difficile que celle de se trouver soi-même.
L’art a contribué à cette quête de soi. Samara est une passionnée de l’art. Elle a d’abord fait du théâtre dans sa jeunesse, aussi du mannequinat. Les choses allaient s’annoncer difficiles. Mariée à l’âge de 22 ans, dans son immature et son vœu d’avoir une famille à tout prix, elle a longtemps supporté des agressions sexuelles, physiques et verbales. Un enfer dont personne ne pouvait la tirer. Même pas sa famille. « Les linges sales se lavent en famille » mais trop sales. A défaut de parler à quelqu’un, elle s’est adressé à un miroir. « Un jour après avoir pris ma douche je me tenais devant un miroir j’ai parlé à cette personne que j’y voyais, moi. J’ai pleuré et raconté mes souffrances et je me suis dite : ça suffit à haute voix. C’était la première phase : prendre ma vie en main ».
Pour pouvoir prendre soin de ses trois enfants, étant séparée de leur père, la nécessité d’entreprendre une activité économique se faisait sentir, ce qui lui permettrait d’avoir une liberté économique. Elle a commencé à vendre le riz aux détails. Mais insuffisante, il lui fallait beaucoup plus pour payer l’écolage et satisfaire d’autres exigences. Une histoire qu’elle raconte avec beaucoup d’émotions.
J’ai reçu un appel pour un emploi et j’ai commencé à travailler tandis que je ne possédais même pas un sac à main pour apporter mes documents. Un jour après le boulot, je suis passée au marché, mes yeux sont tombés de façon évasive sur un sac en pitre et je suis restée figée, perdue dans une admiration du sac. Mon imagination a fleuri. Je voyais des fils, une aiguille et des ciseaux, des décors en peinture et le sac a commencé à prendre forme dans ma tête. Soudain la marchande me sourit et me dit « kisaw vle bèl ti demwazel? » J’ai souris et je demande a la marchande le prix du sac, elle m’a répondu cinquante gourdes alors que je n’avais que vingt-cinq gourdes, juste suffisant pour retourner chez-moi. Elle me l’a vendu à condition que j’apporte la somme manquante le lendemain.
Submergée de joie, je suis partie, joyeuse et eu dans mes pensées l’image de mon sac vêtu de couleur rouge avec un anolis vert et “Ayiti” écrit juste en-dessous. En arrivant à la maison j’ai fait étudier mes enfants puis les mettre au lit toute suite je me suis mise au travail et j’y ai passé environ 3 heures j’ai fait un anolis vert avec des yeux rouges, AYITI écrit en grosses lettres, ce fut un sac en bandoulière. Le lendemain, mes enfants et ma grand-mère n’ont pas tardé à me féliciter. Je suis allée travailler et tout long de la route les gens me demandaient où je me le suis procuré. Avec fierté, j’ai dit que c’était mon œuvre.
J’ai annoncé à mes collègues de travail que j’allais créer des sacs à main pour vendre, en voilà une bonne idée. A la fin du premier mois de mon travail, j’ai économisé mille gourdes pour investir dans mes sacs. Je partageais mon temps entre le bureau, la Maison, les enfants et mes productions et je dors un peu plus tard pour travailler mes sacs. Je commençais à recevoir beaucoup de commandes car j’ai créé une page Facebook nommée CSGcollection qui est devenue aujourd’hui Kaysam’Art collection. Au commencement je confectionnais tout à la main mais voulant que mes sacs soient plus solides j’ai alors appris à coudre à la machine. Je faisais les conceptions et les desseins moi-même puis d’autres personnes m’aidaient à les coudre. Je vendais un bon nombre de mes sacs au magasin où je travaillais, Kay Lolo art, c’était aussi Mon coin de vente.
Quatre ans plus tard ma patronne décide de fermer le magasin, et je n’aime pas abandonner, je lui ai fait quelques propositions pour continuer. Elle les a refusées puis un jour je propose de tout acheter. J’ai loué une maison en ville avec mon épargne et mon solde de tout Compte. J’ai créé une autre stratégie pour pouvoir faire marcher mon magasin. Avec les retailles, j’ai fait des bijoux en tissus, des sandales, des nappes. 2 ans plus tard, les ventes allaient diminuer et j’allais être en difficulté pour payer le loyer en ville. J’ai réfléchi car je ne suis pas du genre à baisser les bras. Quelques jours après, j’ai décidé de transférer le magasin dans ma maison privée comme ça je trouverai beaucoup plus d’espace et je pourrai l’agrandir.
Ce fut une décision difficile et importante à la fois pour Samara. Cet espace avec une belle cour, des arbres, des oiseaux qui chantent et qui font tout le charme de l’espace allait devenir Kaysam’Art. Au début a servi à loger une école d’art qu’elle a mis au service des gens du quartier spécialement les jeunes filles et Les femmes pour partager ses connaissances, par la suite un mini bar puis un restaurant typiquement créole où on peut trouver tous les plats haïtiens. Cet espace accueille aujourd’hui des groupes d’étrangers et Haïtiens venus du reste du monde se régaler, danser le troubadour.
Samara embauche un personnel qualifié et elle est devenue épanouie, indépendante. « J’ai trouvé ce génie qui habitait en moi, j’ai dû faire des choix difficiles un choix mais j’ai trouvé ma paix, dit-elle. J’ai décidé de publier mon histoire pour pouvoir prouver aux femmes battues qu’elles peuvent faire un choix. Regardez autour de vous, utilisez les moyens du bord, c’est comme si vous étiez au milieu de l’océan et que vous avez trouvé un morceau de Bois. Il n’y a pas de sot métier. Vous êtes porteuses de vie, arrêtez de perdre votre vie ».
Je ne sais si Henri Bosco dans son affirmation a eu entièrement raison lorsqu’il disait que « ce qui reste finit par nous rendre ce qu’on a perdu ». On lui donnerait raison car les fragments que Samara conserve en elle de son passé lui a donné une vie, une histoire, une voix. C’est ce qu’elle compte offrir au public en mettant son vécu en scénario, en écrivant un livre. Des rêves qu’elle porte fort longtemps en bandoulière.