Schebna BAZILE Et Le Théâtre, Promesse D’un Amour Eternel
Nulle intention de faire l’Histoire, pour le moins occidentale, du théâtre mais il faut dire qu’il a pris chair vers 550 av. J-C. Selon Aurore Evain (i), l’acteur était exclusivement masculin à cette époque. Il y’avait certes des femmes dans les troupes itinérantes mais elles participaient aux spectacles seulement comme jongleuses, chanteuses ou acrobates. Sur scène, les rôles féminins étaient interprétés par des travestis. Il va falloir attendre le XVIème siècle pour voir l’émergence de la femme sur scène grace à une large démocratisation des pratiques culturelles. En Haïti, on assiste à un éventail croissant de femmes qui s’investissent dans le théâtre, se donnent corps et âme. Schebna BAZILE fait partie de ces femmes qui inspirent.
Schebna BAZILE est l’ainée de sa famille. Elle a grandi au Cap où elle a fait toutes ses études classiques, commençant au Jardin Saint Enfant Jésus jusqu’à la Terminale chez les Sœurs Saint Joseph de Cluny. Schebna a été sélectionnée en 2012 par le YMCA d’Haïti comme jeune ambassadeur dans un programme d’échange culturel aux Etats-Unis. Depuis, le secteur de la culture haïtienne la fascine. En 2013 elle entame ses études en administration des affaires et c’est en 2014 qu’elle a été nommée « jeune ambassadeur d’Haïti » au sein de la CARICOM. 2015, avec de proches collaborateurs, elle lance CapArt, une association culturelle dont elle dirige l’atelier de théâtre. À nos jours, l’association fonctionne et offre des spectacles à Port-au-Prince et au Cap-Haitien.
Elle est éprise de l’art en général et entretient un rapport privilégié avec celui-ci. Musique, peinture, elle a tenté un peu de tout. Mais son premier coup de cœur a été la littérature, une passionnée de la lecture car ses parents l’encourageaient en ce sens. « Je suis devenue une vraie mangeuse de bouquins depuis mon enfance », raconte-t-elle ironiquement. En ce qui concerne l’écriture, elle a fait ses premiers pas en sixième. Trois ans après, chez les sœurs de Cluny (Cap-Haitien), elle allait débuter ses cours d’art dramatique avec M. Rosny FELIX. C’est donc en 2010 qu’elle commençait à monter sur scène. Pour la mise en scène, c’est à partir de 2013 qu’elle fait ses armes et avec son association CapArt, composée d’anciens élèves de M. Rosny FÉLIX et quelques collaborateurs du domaine des arts de la scène. Départagée en trois ateliers, théâtre, danse et chant, tous coiffés par une équipe administrative, cette association, de 2015 à nos jours, a organisé plus d’une dizaine de présentations sous la haute direction de Schebna BAZILE.
On pourrait se demander si c’est elle qui a choisi le théâtre ou c’est le théâtre qui l’a conquise. A croire ses mots, le théâtre l’a plutôt choisie. « J’ai eu mon coup de foudre en 2009. C’était lors d’un spectacle, à Cluny, pour la fête de Saint Joseph. C’était un pot-pourri préparé par la troupe de l’école et j’ai été complètement subjuguée. J’ai laissé s’écouler l’année académique, je me suis inscrite au cours l’année suivante et depuis je n’ai jamais arrêté. Promesse d’un amour éternel, quoi ! ». Elle se souvient encore de son premier spectacle joué en Mars 2011, « Madan Marié », une nouvelle de Paulette Poujol-Oriol, romancière haïtienne, sortie dans son recueil La Fleur rouge.
C’est avec émotion qu’elle décrit ce précieux moment. « Il y a eu le trac et le doute juste avant de prendre les planches. Mais une fois sur scène, une fois dans le jeu, Schebna s’est tapie dans un coin de ma tête pour me regarder devenir cette vielle dame octogénaire. Le sentiment d’être en contrôle de sa vie est une extase. Imaginez être en contrôle de deux vies. La vôtre et celui de votre personnage, jouant sur les frontières des deux existences. Il n’y a pas meilleure sensation ».
On veut toujours savoir, une manie peut-être, d’où vient le déclic de la création, ce qui se passe dans la tête du créateur. D’où est venue l’idée de créer CapArt ? C’est une question inévitable. « Mes camarades du cours d’art dramatique et moi, nous ne voulions pas arrêter avec la scène à notre dernière année de nos études classiques, commence t-elle par dire. En même temps, nous avions pensé à ce que le théâtre pourrait représenter s’il était cultivé dans les normes. CapArt est en fait ce projet de créer un espace (pas juste physique) où le théâtre serait exploité. L’association culturelle s’est lancée pour offrir une image plutôt scrupuleuse de l’art dramatique et de la culture haïtienne ». Une grande et excellente ambition.
Que peut le théâtre en (pour) Haïti ?
Nous travaillons en essayant d’exhiber la peinture la plus juste possible de notre société. C’est pourquoi, les pièces que nous offrons portent une image fidèle de nos mœurs. Certaines vont puiser dans l’histoire, d’autres restent dans le contemporain, mais nous exposons ce que nous sommes à chaque présentation. Nous partons de la théorie que pour que quelque chose change, il faut d’abord ce regard qui expose le besoin de changement. Le but de nos spectacles serait d’attiser ces regards-là.
Qu’est-ce que le théâtre vous a apporté de plus ? Schebna répond ainsi :
Le théâtre a amélioré mes rapports avec les gens. Si on arrive à comprendre un personnage qui n’existe pas jusqu’à le devenir, on peut supporter n’importe qui dans son entourage. Par ailleurs, ma plume a pris du poids grâce au théâtre. Créer des personnages est une chose, mais quand la matérialisation en est le but final, le niveau est tout autre. La mise en scène a aussi aiguisé mon sens créatif. Je travaille sous pression, à des tâches multiples, tout en essayant de coordonner ressources humaines, matérielles et financières. J’ai grandi grâce au théâtre.
L’art souffre et des mesures doivent être prises. Il faut nécessairement encourager ceux et celles, d’une manière ou d’une autre, qui travaillent, s’acharnent de créer, une entreprise combien difficile. L’art, dans sa matérialisation, et le créateur doivent être entretenus. Schebna a fait face à pas mal d’embuches. L’une d’elles est l’espace. « Il n’y a pas d’espace réservé au théâtre au pays. Autant le dire sans ambages. Tout ce que nous faisons, c’est nous accommoder à des lieux qui pourraient s’en rapprocher ». Autres choses. « L’encadrement. La reconnaissance. La rémunération. La promotion. Les arts de la scène en général (même dans l’industrie musicale qui semble plus en vogue) souffrent de l’absence de ces modules ». En dépit de tout, elle continue de produire.
Quels sont les meilleurs conseils pour quelqu’un qui voudrait se lancer dans le théâtre ?
À quelqu’un qui voudrait se lancer dans le théâtre, je dis lance-toi ! C’est une vie extraordinaire, une expérience inimaginable. C’est être, que de faire du théâtre. Il faut juste se rappeler que c’est une discipline à part entière. Avec ses normes, ses principes et ses doctrines. Il ne suffit pas de le vouloir. Et le talent (ou ce que l’on nomme tel) ne suffira pas.
Elle annonce ses projets, nombreux sont-ils.
À court terme, deux pièces pour la fin de ce mois, une pour la Saint Valentin, la journée mondiale du théâtre en Mars, et quelques autres projets en couture. À long terme, entre autres, un théâtre. Possiblement dans la ville du Cap.
Schebna voudrait se voir comme un agent culturel. Ses projets, que ce soit dans la littérature (parce qu’elle produit des nouvelles, des pièces de théâtre, de la poésie et quelques essais) ou dans l’art dramatique, tournent autour de l’identité et l’engagement citoyens. Nous ne pouvons que souhaiter du bonheur à un tel prodige.
*(i) Aurore EVAIN, « l’apparition des actrices professionnelles en Europe », L’Harmattan paru dans CLIO, N017-200