Le Prix “Nobel” De L’inconfort Au Transport En Commun Haïtien

Avanse, avanse, se senk moun pa ban!

En Haiti, le malaise s’imprègne dans notre lot quotidien. Camionnettes, taxis, bus et même d’autres modèles de transport innommables et inimaginables se sont passé le mot au sein de la capitale. Si la voiture est conçue pour transporter deux personnes par siège, on peut pousser jusqu’à quatre et même cinq personnes. C’est la règle.

Écoliers, professionnels, marchands, tous sont soumis à ce calvaire dont on peine à accorder de l’importance. D’autant plus qu’avec l’afflux du transport en motocyclette, la situation calamiteuse du transport en commun en Haiti ne s’améliore guère au contraire, elle se dégrade.  Les routes sont bien souvent en mauvais état, il n’y a même pas assez d’espace pour s’asseoir voire pour respirer et le cauchemar s’intensifie lorsqu’à cette place qui devrait comporter deux personnes, une femme ou même un homme aux formes immensément voluptueuses vient déposer son “chay” (enposib) sur tes jambes fatiguées et exténuées. Il en faut pas plus pour rendre hystérique et pourtant chaque jour, cette scène se joue encore et encore.

On s’accoutume à l’inconfort, à  l’impensable. Car, il ne faut surtout pas l’oublier et selon les mauvaises langues, Haiti est le pays où tout est possible.

Parle t-on d’arnaque ou de crime organisé?

Loin de moi l’idée d’aborder la question avec humour mais dernièrement,  j’ai découvert que de plus en plus la distance entre les jambes et le siège avant diminue. Soit il faut recroqueviller les jambes, soit juste les ouvrir. Ce n’est pas que cela me dérange les jambes ouvertes mais je préfère quand elles sont fermées. Il y a  beaucoup plus de siège en bois ou en vieux coussins bourrés et bien sûr il fait tellement chaud qu’on se croirait dans une fournaise. Soit il n’y a pas de fenêtre pour aérer la voiture en notant que le chauffeur ne pense pas à climatiser la voiture et même dans le cas contraire, il faudra payer plus cher; soit il y en a mais le vent estime que vous méritez votre sort en plus des embouteillages. Sans parler de l’état des routes et de l’abscence de bon nombres de panneaux de signalisation mais c’est un tout autre débat.

Ah mes chers complices! Imaginez bien, un matin je me suis fait électrocuter en touchant la portière d’un taxi. J’ai fini par croire que le chauffeur était de bonne foi, un gadget parfaitement conçu pour les lève-tôt. Car, je vous assure, je fus parfaitement réveillée pour tout le reste de la journée.

Nous sommes si souvent pressés que nous croyons justifier l’adhésion à ce système inhumain.  Il est évident que les chauffeurs transportent des animaux, puisqu’entre asphyxie, crampes et inconfort, personne ne se plaint ou du moins pas assez. Certains trafics respectent le fait qu’ils transportent des humains, mais il y en a d’autres qui ne méritent aucun qualificatif. Le pays va mal. Inconsciemment, nous nous faisons agresser chaque jour qui passe, pris dans un système qu’on ne demande qu’à sortir. Et jusqu’à présent, je ne parle pas du charme pittoresque de ses transports. Entre les voitures trouées, rouées, défigurées, rapiécées, blasées; on se salit, se mouille et se blesse dans le pire des cas. Qui faut-il pointer du doigt? L’État haitien, la rage du système capitaliste, la crise économique haitienne ou tout simplement nous, les passagers?

Absorbés dans notre train-train quotidien, nous ne remarquons pas ces petits détails qui peuvent avoir beaucoup d’impact sur notre vie personnelle, notre travail, notre santé et même notre humeur. Car, un transport inconfortable peut gâcher la bonne humeur et même provoquer des malaises surtout si le trajet est long. Il nous reste beaucoup à faire en Haiti.

Durant cette saison pluvieuse, je ne fus même pas en colère lorsqu’un chauffeur en voiture privée m’éclaboussa  à toute vitesse. Car d’un air pensif,  je me suis dit: “Mais…il a raison le type, tant d’années d’inconfort refoulées!”

La résignation n’est qu’une démission et une fuite. Dès qu’un homme et une femme se résignent, ils sont perdus!